Dans l’ombre de chambres familiales ou d’hôtels de passe, en Belgique, quatre hommes (ré)apprennent le plaisir au-delà de la douleur. Ils présentent des handicaps différents, mais font appel à la même accompagnante sexuelle: Tyra. Ils en crèvent d’envie. Et derrière les portes closes, leur corps d’homme et de femme en situation de Handicap assouvissent ces désirs indicibles, dessinant par la même occasion les contours de l’accompagnement sexuel.

La sexualité des personnes handicapées en Belgique reste un sujet tabou, particulièrement dans le sud du pays, où ce sujet est entouré d’une grande ignorance. Un nouveau métier tente pourtant de mettre fin à cet isolement : des personnes appelées « assistantes sexuelles » accompagnent les personnes porteuses de handicap dans leur sexualité. Elles préfèrent d’ailleurs se désigner comme « accompagnantes », un terme moins passif, plus humain, plus proche de la réalité qu’elles vivent, faite d’échanges plutôt que d’assistanat.

On compte en Flandre, 70 à 80 accompagnants sexuels répertoriés, en Wallonie, on n’en compte qu’une dizaine, preuve s’il en est de l’effort qui reste à fournir dans cette partie du pays. Tyra, assistante sexuelle, permet à des familles ou à des institutions comme des centres ou des maisons de repos d’offrir une réponse aux besoins sexuels et affectifs de la personne handicapée. Ce travail n’est pourtant pas reconnu. Il est même souvent méprisé alors qu’en permettant à la personne handicapée de renouer avec la nudité et les caresses, d’apprendre à des personnes autistes les techniques de masturbation afin d’éviter les blessures, ou à des couples de personnes handicapées de s’épanouir dans un rapport sexuel, ce métier apporte un soutien psychologique salutaire, dans un cadre sainement défini.

« J’avais aussi tendance à le surprotéger. L’éducateur m’a rassurée, en me disant qu’il y arriverait. Et c’est vrai : il est très autonome, sait faire plein de choses tout seul. »

« Il se décrispe quand il voit mes seins. Le moment qu’il passe avec moi, c’est une déconnexion par rapport à la réalité. C’est comme ça pour tous les autres aussi. Je leur fait vivre ce que personne ne leur fait vivre : dans cette intimité, ils redeviennent avant tout des hommes. ».

« JL. vit dans une institution ouverte à cette idée, mais qui ne dispose pas sur place de chambre qui convienne. Alors, Jean-Louis vient avec l’aide de « Handicap et mobilité ».

Vu de l’extérieur, ce métier est souvent considéré comme de la prostitution. Bien des institutions n’osent dès lors pas franchir le cap pour un de leurs patients, de peur d’être accusées de proxénétisme. Pourtant, l’objectif premier de la plupart de ces accompagnants n’est pas de gagner de l’argent mais d’accompagner ces personnes face à leurs questionnements et leurs besoins sexuels. Contrairement aux personnes accompagnantes sexuelles, les prostituées ne disposent pas du temps nécessaire pour cela.

« A la maison, sa maman nous prête et prépare son propre lit. Elle nous met de la musique douce, de l’encens … Elle m’aide à le déshabiller, à le mettre au lit. Elle est vraiment investie dans le confort de son fils. Elle quitte la pièce et nous laisse seuls. « .

« Dans mon regard et mes yeux, j’espère qu’ils voient que le handicap n’existe plus. C’est une parenthèse qui fait du bien. Ensuite, ils redeviennent handicapés. « 

« Après, la séance, on boit un verre et on papote dans la cuisine. Parfois Anthony parle, parfois pas. Comme avec les autres, j’ai appris à décrypter son langage, sa façon de parler. Quand il repart, je suis souvent très émue. »

En Belgique, ce métier n’est pas reconnu officiellement. Le vide juridique autour de cette fonction provoque donc un amalgame. Dans certains pays européens, l’accompagnement sexuel serait remboursé et reconnu. En Belgique, il reste considéré comme une forme de prostitution. La loi belge autorise l’achat de services sexuels mais condamne le proxénétisme et le racolage. Cela signifie concrètement que se renseigner sur l’existence des accompagnantes sexuelles ou proposer un service d’accompagnement reste condamnable.

« Bernard est marié. Il a une soixantaine d’années. Il a la sclérose en plaques. Bernard est une personne très cérébrale et très cultivée. Avec une personnalité telle que la sienne, on peut démontrer que la continuité des rendez-vous est constructive et productive.

Je le vois tous le 15 jours. On boit toujours un petit café ensemble. On aune complicité particulière. Bernard vient avec moi aux colloques, pour témoigner. Il milite à sa façon de cette manière pour que l’on donne enfin une définition légale de l’accompagnement sexuel. « 

Sur sa table de chevet, de la morphine en patchs et en comprimés  et des restes de joints devenus vitaux. Le jeune homme vit dans la peur de mourir étouffé. Jusqu’ici, la présence de sa mère et de ses amis l’a empêché de sombrer dans la douleur. Celle de Tyra aussi, probablement. Un lien particulier s’est insinué au fil des rendez-vous. « Il y a quelques années, j’en suis tombée amoureuse », confie Tyra

« Je lui avais toujours dit qu’un jour, on passerait la nuit ensemble. Simplement parce que j’étais bien avec lui », raconte la femme de 36 ans. Une dernière nuit avant de quitter son corps, cette prison osseuse.

« Les accompagnants n’ont donc aucun statut ni assurance actuellement », reproche Marie-Aude Moreau, sexologue au sein du centre de ressources Handicaps & Sexualité. Ceux qui les entourent, eux, vivent la crainte d’être accusés de proxénétisme, une forme d’exploitation punie par la loi belge. « Ça freine beaucoup d’institutions qui, malgré les demandes de leurs résidents, n’osent pas leur proposer la solution de l’accompagnement sexuel », poursuit la spécialiste de Handicaps & Sexualité, pourtant soutenu structurellement par la Région wallonne.

Je suis dans l’intimité des gens, ils me livrent leurs plus profonds secrets. Leur tristesse. Ils me parlent comme si j’étais un livre dans lequel on écrit. »

Avec une formation médicale, mais aussi quelques années d’expérience, Tyra est probablement une des meilleures accompagnantes. Elle est en revanche la seule à avoir fait partie du milieu de la prostitution, du côté francophone de l’Asbl Aditi. « En général, les travailleurs du sexe ne constituent qu’un petit pourcentage des candidats. Ce sont des personnes qui viennent de tous horizons : il y a des kinés, des éducateurs, des infirmières, mais aussi des mères de famille, des informaticiens, des directeurs commerciaux… Mais en général, d’une manière ou d’une autre, ils ont été confrontés au handicap à travers leur métier ou leur cadre familial. » Aujourd’hui, ils sont une centaine en Belgique, dont plus de 80 % installés en Flandre.

« Il m’arrivait que je m’endorme dans sa chambre, raconte l’accompagnante sexuelle. C’est la seule personne handicapée parmi mes clients que j’ai embrassée. Je me suis attachée à lui au point de devoir arrêter de le voir: je voulais nous préserver, lui et moi, en envoyant quelqu’un d’autre à ma place. Et puis un jour, il m’a rappelée. »

« Cette nuit avant son euthanasie, je n’ai pas arrêté de pleurer. On s’est fait des câlins, on a dormi. J’ai pris ma douche nue avec lui, je lui ai dit d’en profiter, puisqu’il avait décidé de crever ce soir-là. »

Le débat sur l’accompagnement sexuel reste aujourd’hui ouvert alors que la sexualité reste un droit et l’intégration des personnes handicapées passe par ce droit fondamental à un équilibre sain.