Durant l’été 2015, les récoltes de céréales de sept exploitations agricoles du département de la Meuse ont été détruites pour cause de suspicion de pollution par des résidus de munitions toxiques de 14-18.
Peu de temps après la révélation de ces faits le 17 septembre 2015 dans L’Est Républicain, le préfet de la Meuse, Jean-Michel Mougard, donnait une conférence de presse au sujet du vaste complexe de démantèlement de munitions toxiques repéré par le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) sur une série de parcelles agricoles réparties sur le territoire des communes de Muzeray, Vaudoncourt et Loison, dans le canton de Spincourt, au Nord-Est de Verdun. C’est à la suite de ses investigations sur le site déjà connu de La Place à Gaz, en forêt de Spincourt, que le BRGM a découvert que ce lieu n’était que la partie émergée d’un « secret » de guerre bien plus chaud qu’un iceberg… L’histoire de cette clairière de 70 mètres de diamètre de terre noire était tombée dans l’oubli jusqu’à ce qu’en 2007, une équipe de scientifiques allemands de l’Université de Mayence n’explique l’absence de végétation à cet emplacement par l’incinération de 200 000 obus chimiques de la Grande Guerre en 1928. Cette première étude avait alors révélé que le sol contenait à cet endroit des taux très élevés d’arsenic, de plomb et d’autres métaux lourds issus du brûlage d’obus à arsine dits « à croix bleues ». Il fallut néanmoins attendre 2012 pour que la Préfecture de la Meuse ordonne l’interdiction d’accès au site. Les autorités semblent depuis lors avoir pris la mesure de ce problème puisque ce sont elles qui ont mandaté le Bureau de Recherches géologiques et minières pour la nouvelle étude environnementale du site.
L’élimination d’engins de guerre du premier conflit mondial n’a pas uniquement laissé ses traces chimiques dans les sols de la ligne de front, mais aussi là où les surplus de munitions avaient été stockés, non loin de leurs sites de production. C’est tout le territoire qui peut être concerné et peut-être bien au-delà.
Avec l’ équipe du Bureau de Recherches géologiques et minières, Daniel Hube, ingénieur spécialiste des sols pollués, est désormais chargé d’une nouvelle étude environnementale. Personne ne sait à ce jour comment les terres dont la pollution est visible à l’oeil nu ont été réintégrées dans les parcelles cultivées à l’occasion de remembrement récents. En 2015, le préfet de la Meuse a décidé d’ interdire la vente des productions agricoles issues de ces parcelles. Ces installations industrielles, dirigées par la société « Clere & Schwander », ont laissé de nombreux déchets dans le sol (ici, fragments de bouteille en verre contenant les toxiques dans les obus).
Les investigations et recherches menées depuis le printemps 2014 ont débouché sur la découverte de 3 autres sites pollués dans les environs. La Place à Gaz ne correspondrait en fait qu’à la phase la plus tardive d’exploitation d’un gigantesque complexe de « désobusage » sur lequel pas moins d’1,5 millions d’obus chimiques et 30.000 obus explosifs ont été acheminés à partir de 1919. Provenant de la Meuse, de la Somme et même de Belgique, les munitions étaient « déconstruites » sur ce site industriel exploité par la société « Clere & Schwander ». Cette implantation a probablement été choisie en raison de la présence d’importants dépôts de munitions toxiques allemandes, intransportables, laissés là après l’Armistice. La présence d’une compagnie de prisonniers de Guerre stationnée à Spincourt permettait aussi de bénéficier de main d’œuvre pour ce travail dangereux.
Ce morceau d’obus contient encore de la matière explosive, potentiellement dangereuse. L’agriculteur local a marqué discrètement son emplacement avec une tige métallique pour le signaler aux démineurs sans attirer de curieux. Une partie des installations de l’époque sont encore présentes sous la végétation comme les tuyaux de grès qui étaient utilisés pour évacuer les produits toxiques. Ces tuyaux proviennent d’Alsace, région d’où provenait l’exploitant, Clere & Schwander.
En juillet 2015, on m’a interdit d’exploiter 40 de mes 50 hectares de terre. Pour moi, c’était une incompréhension totale. On m’a expliqué que c’était à cause de la Première Guerre mondiale, mais je ne comprenais pas pourquoi on se préoccupait de ça maintenant , une centaine d’années plus tard
Les moissons de fer
Après la guerre, une des premières urgences pour le gouvernement français comme pour le gouvernement belge fut d’éliminer les millions d’engins dangereux qui jonchaient le sol des régions dévastées et de récupérer les matières valorisables, essentielles en cette période de reconstruction. Un travail colossal, puisqu’on estime que plus d’1 milliard d’obus conventionnels ont été tirés sur la ligne de front entre 1914 et 1918, et que 30% d’entre eux n’ont pas explosé. Il faut ajouter à ce chiffre les grenades, munitions toxiques et multiples autres engins utilisés dans cette guerre qui fut un véritable laboratoire à ciel ouvert. Après l’Armistice, le danger venait autant de ces munitions non explosées que des stocks de munitions, parfois entreposés loin de la ligne de front. Le complexe de déconstruction des munitions de Spincourt comprenait 3 sites principaux : une usine de déconstruction des obus recourant à la « neutralisation » des toxiques de guerre et à l’expulsion des explosifs à l’eau chaude pour récupérer les nitrates qui étaient retournés à l’agriculture comme engrais ; un champ d’explosion d’engins toxiques de 300 m de long ; et un autre champ où les activités d’explosion ont été arrêtées en 1920 du fait de dégâts occasionnés dans le village de Spincourt, mais aux abords duquel fut installé un ensemble d’ateliers de déconstruction et de brûlage d’engins chimiques. On ne connaît pas à ce jour la date de l’arrêt de l’activité de ce complexe, mais on sait qu’en 1926, un second centre s’est ouvert, non loin de la Place à Gaz, pour soulager le site de Spincourt-Muzeray-Vaudoncourt, devenu trop dangereux à cause de sa taille.
La journaliste va à la rencontre des personnes confrontées à la pollution de la Grande Guerre et tente de répondre à plusieurs questions : comment a-t-on tenté de se débarrasser du problème des munitions après la Grande Guerre ? Pourquoi cela a-t-il échoué et quels sont les impacts actuels de cette mauvaise gestion ? Au cœur de son enquête, des révélations sont bouleversantes : certaines populations ont payé très cher le prix de l’élimination des déchets de guerre. Les paysans se sont sans doute trop habitués à la présence des munitions dans le sol, au point de ne plus les voir et de sous-estimer leur danger. Ils constituent de petits dépôts de munitions, débris et ferrailles en bordure de parcelle. Outre le milliard d’engins de guerre tirés en 3 à 4 ans sur le front, dont 20 à 30% n’ont pas fonctionnés correctement, plus d’1,7 million de tonnes de surplus de munitions non utilisées ou récupérées ont constitué ce que Daniel Hubé appelle « le réservoir chimique de la Grande Guerre ».
Il est vivement conseillé d’éviter la consommation d’eau du robinet pour les femmes enceintes ou les bébés en raison d’un taux d’ions perchlorate supérieur à la normale
Le fait que les parcelles polluées découvertes récemment soient des exploitations agricoles a poussé la préfecture de la Meuse à prendre des mesures de précaution inédites jusqu’à ce jour pour des cas de pollution liée à 14-18 : au cours des moissons 2015, les céréales ont été détruites sur pied ou broyées après récoltes broyées, et depuis l’été, le lait des vaches concernées, récolté par une coopérative laitière, est injecté dans une filière de méthanisation. La consommation des poissons des étangs et des champignons est elle aussi interdite dans ces zones. Les concentrations élevées d’arsenic, plomb, zinc, mais aussi d’autres résidus toxiques de guerre et d’explosifs (TNT et nitronaphtalènes) relevées dans les sols n’excluent pas pour autant définitivement l’exploitation de ces parcelles. Les premières analyses des productions issues de ces sols pollués montraient en effet que le blé, l’orge et le lait ne dépassaient pas les concentrations admises en dioxines, plomb et autres substances nuisibles. En décembre 2015, 89 hectares agricoles ont d’ailleurs été libérés et rendus à nouveau cultivables car selon le BRGM, « les valeurs mesurées correspondent à l’état normal de l’environnement ». Les résultats des analyses réalisées sur les 12 hectares restants n’ont à ce jour (1er octobre 2016) pas encore été rendus publics.
À Spincourt à proximité de Verdun, c’est l’arsenic. Une découverte fortuite a révélé il y a dix ans que 200 000 obus chimiques allemands ont été pétardés ici. Une étude scientifique a montré que des échantillons de terre prélevés sur ce site contenaient jusqu’à 17% d’arsenic pur ainsi que des taux de cadmium et de mercure extrêmement élevés. Le mercure est quand à lui un neurotoxique très dangereux, utilisé dans toutes les amorces de munitions sous la forme de fulminate. La Place à Gaz de Spincourt, un site sur lequel environ 200 000 obus chimiques de la Grande Guerre ont été incinérés en 1928. L’histoire particulière de ce lieu, tombée dans l’oubli pendant plusieurs décennies, a été remise en lumière en 2007. Des scientifiques allemands de l’Université de Mayence, ont alors révélé que le sol contenait à cet endroit des taux très élevés d’arsenic, de plomb, et d’autres métaux lourds.
Le terrain contient aussi des métaux lourds, les restes des matières formant les explosifs et des toxiques de guerre arséniés (ici, une bouteille qui contenait ces arsines dans les obus toxiques). Une autre place à gaz est découverte au cours de l’enquête. Selon Daniel Hubé, pas moins d’1,5 millions d’obus chimiques et 30.000 obus explosifs ont été acheminés sur ces terres à partir de 1919. Dépeuplé par la guerre, et déjà pauvre avant celle-ci, le département de la Meuse a pour ainsi dire servi de poubelle pour les autres régions après le conflit.
Mémoire dans le gaz
Si l’Etat français a choisi de montrer qu’il prenait ce problème à bras le corps, c’est sans doute en constatant que l’ampleur du risque sanitaire que constituent ces sites pollués ne pourrait plus être ignorée longtemps. Le problème s’étend en effet bien au-delà des alentours de Verdun. Lors d’une alerte émise en 2012, déjà, l’Agence Régionale de Santé émettait l’hypothèse que le dépassement des taux admis de sels de perchlorate dans l’eau de distribution du Nord et du Pas-de-Calais s’explique par la présence dans ces régions de nombreuses munitions de la Première Guerre mondiale. Le BRGM est désormais officiellement mandaté par le Ministère de l’écologie pour réaliser un inventaire de tous les sites qui présentent les mêmes caractéristiques que ceux situés autour de Spincourt. On ne peut qu’espérer que cela pousse la Belgique à s’occuper elle aussi de cette question. Aux abords des installations de déminage du SEDEE (Service d’Enlèvement et de Destruction des Engins Explosifs de la Défense), à Poelkapelle, un champ hautement contaminé par de l’arsenic et d’autres métaux lourds continue à être exploité chaque année bien que cette pollution ait été signalée à l’OVAM (Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij, société publique flamande de gestion des déchets) dès 2008 par le scientifique allemand Tobias Bausinger, puis à plusieurs reprises par la presse. À moins que l’on ne continue à préférer considérer, en Belgique, que la question des pollutions de guerre est une boîte de Pandore dont il vaut mieux ne pas soulever le couvercle.
Le long d’un mur, ce sont des milliers de cafus, ces douilles d’obus qui sont méticuleusement empilés. Des fusils regroupés comme des fétus de paille. Puis des éclats d’obus, rouillés et tranchants, déformés par le temps, une pyramide d’obus rappelant la mort, lorsque le ciel prenait feu. « On a tiré ici 140 obus par minute pendant six semaines. Le 25 juillet 1916, les Australiens tiraient 1 800 obus. Cela donne 6 millions de billes de schrapnel, 6 600 tonnes de plomb. »
Un récit de 1924 dit que les vents d’Ouest amenaient des nappes de fumées empoisonnées jusqu’au village. Deux fermiers locaux sont décédés en 1925. On ne saura jamais prouver que leur mort est due à cette pollution
Un 155 MM Français et un 75 MM Français ont été déposés par les agriculteurs près d’une borne Vauthier. Ils ont l’habitude de les mettre de côté en attendant le passage des services de déminage. Ces munitions présentent encore aujourd’hui un risque réel. Elles deviennent plus dangereuses à mesure de leur vieillissement. A quelques kilomètres du Chemin des Dames, Jean Luc Pamart, paysan du Soissonnais cultive des terres qui rejettent des vestiges de la Grande Guerre. Parmi les betteraves ou des pommes de terres récoltées par les machines agricoles, il arrive très souvent que l’on y trouve des grenades ou des obus. Ici deux grenades F1 Française (à gauche et en haut) et trois grenade à fusil VB . Française (Viven-Bessières).
C’est l’Etat qui est responsable de cette pollution! Il nous a menti en disant que cette activité ne polluerait pas. Aujourd’hui, ça continue en nous disant que les déchets nucléaires ne représentent aucun danger
Les obus ont tendance à remonter avec le temps mais les machines agricoles utilisées pour travailler le sol vont de plus en plus en profondeur. Certains fermiers déposent les obus dans le creux des poteaux électriques mais les démineurs ne peuvent pas venir les chercher tant qu’une demande officielle n’a pas été envoyée par la police locale. L’intervention est parfois trop lente au goût de certains. A quelques kilomètres du Chemin des Dames, Jean Luc Pamart, paysan du Soissonnais cultive des terres qui rejettent des vestiges de la Grande Guerre. Parmi les betteraves ou des pommes de terres récoltées par les machines agricoles, il arrive très souvent que l’on y trouve des grenades ou des obus.
Avec la collaboration d’Isabelle Masson Loodts, archéologue, historienne de l’art et journaliste spécialisée sur les questions environnementales de la Grande Guerre (www.paysagesenbataille.be)