Dans une plaine longée par la rivière Magoh, trois imposantes cabanes sur pilotis dénotent au coeur de la forêt tropicale. Une fumerolle s’échappe de l’arrière d’une d’elles. À l’intérieur, une femme d’un mètre cinquante tout au plus, les cheveux en bataille, vêtue d’un vieux t-shirt et d’un short, est accroupie devant un grand feu de bois. À coté d’elle, Guman, son mari, taille des flèches pour sa sarbacane. Celina et Guman sont des Penan, un peuple autochtone des hauts plateaux de l’État de Sarawak, dans l’ouest de Bornéo.
À l’origine, les Penan étaient des nomades qui se nourrissaient de chasse, de pêche et de cueillette dans la forêt tropicale. Celina et Guman, parents de six enfants âgés de plus ou moins 9 à 20 ans – ils ne connaissent pas vraiment leurs dates de naissance -, forment l’une des dernières familles penan de la région à s’être sédentarisée. « Nous nous sommes installés ici en 2017. Sans maison construite sur cette terre, l’État de Sarawak considère qu’elle ne nous appartient pas. »
LONG DA’AUN, Malaisie: Gary et Plinton, fils de Guman et Celina, regardent vers le ciel tout en s’amusant avec des chiots, le 2 décembre 2019. LONG DA’AUN, Bornéo: Ma, gendre de Guman et entouré de ses beaux-frères, essaie d’attraper un oiseau dans un arbre à l’aide de sa sarbacane, le 2 décembre 2019. LONG DA’AUN, Bornéo: Flojen, fils de Guman, vérifie comment couper une branche d’un sagoutier pour en retirer la moelle. L’aliment de base du Penan est le sagou ; la moelle du sagoutier transformée en une farine qui se consomme sous forme de bouillie une fois cuite à l’eau. En tant que source principale de leur alimentation, l’exploitation forestière et les plantations de palmiers à huile détruisent cette ressource indispensable aux Penan, le 2 décembre 2019.
Depuis quelques années, l’industrie de l’huile de palme les menace. Les déforestations opérées par l’industrie du bois avaient déjà fait perdre aux Penan une partie de leur territoire, depuis les années 80, avec une inévitable incidence sur leur mode de vie dépendant de la forêt tropicale. « Nous partons parfois pendant des heures, voire plusieurs jours, pour y chasser, couper du bois ou cueillir des fruits et des plantes médicinales », explique Guman.
LONG DA’AUN, Malaisie: Ma coupe un sanglier en morceaux pour le dîner pendant qu’Abo affûte le couteau et Flojen maintient le gibier. Les plus jeunes ne font qu’observer les aînés, le 5 décembre 2019. LONG DA’AUN, Bornéo: Flojen Guman pêche dans la rivière Megoh près de son village. La pêche est l’une des sources d’alimentation des Penans. Préserver la forêt tropicale de l’exploitation forestière et des plantations de palmiers à huile est également un moyen d’éviter la pollution de la rivière polluée par les produits chimiques et fertilisants qui empoisonnent et tuent également les poissons, le 16 février 2020.
Les Penan ont été aidés par Bruno Manser, activiste écologiste suisse disparu en Malaisie en 2000, puis par la fondation qui porte son nom pour défendre leurs droits coutumiers. « Si nous nous apercevons qu’une compagnie d’huile de palme commence à pénétrer sur nos terres, nous prévenons les villages aux alentours et agissons tous ensemble pour faire des barrages et empêcher les bûcherons d’avancer. Le Bruno Manser Fonds et des avocats nous soutiennent, par exemple en signant des lettres d’avocats qui expliquent qu’ils n’ont pas le droit de couper des arbres et pénétrer sur nos terres sans notre permission », explique Guman.
LONG DA’AUN, Malaisie: Une des trois cabanes du village Penan de « Long Da’un » où vit une famille de dix personnes : la famille Guman. Ils se sont installés en 2017, avant ça, ils se déplaçaient dans la forêt tropicale le long de la région de Limbang. Afin de pouvoir défendre ses terres des compagnies forestière et d’huile de palme, le père de famille Guman Megout a décidé de se sédentariser tout en continuant à aller chasser et cueillir dans la forêt qui entoure sa maison, le 2 décembre 2019.
LONG DA’AUN, Bornéo: des villageois autochtones appelés Penan ont construit des barrages pour empêcher les sociétés d’exploitation forestière et compagnies d’huile de palme d’entrer dans la forêt tropical. L’exploitation forestière par de grandes entreprises détruit le mode de vie des Penan dont les moyens de subsistances sont basés sur la chasse, la cueillette de fruits, la pêche et l’utilisation de plantes médicinales qu’ils trouvent dans la forêt. Une fois la terre recouverte de palmiers à huile, il ne leur reste plus rien. Aidé par l’activiste suisse Bruno Manser, les Penan ont commencé à s’organiser et à se révolter à la fin des années 1980. Jusqu’à maintenant, ils érigent des barrages sur les routes forestières pour empêcher de nouvelles incursions, le 30 novembre 2019.
À plusieurs dizaines de kilomètres de chez Guman, un village penan et berawan, une autre communauté autochtone, a réussi à repousser une compagnie d’huile de palme installée (présumé illégalement) aux abords du parc national du Mulu, un site protégé par l’Unesco. En décembre 2018, la société Radiant Lagoon s’apprêtait à abattre 4400 hectares de forêt tropicale intacte, entre les rives du fleuve Tutoh et la frontière avec le sultanat de Brunei, alors que les communautés locales revendiquaient des droits coutumiers autochtones sur ces terres. Après avoir défriché environ 730 hectares, les bulldozers ont été arrêtés par les barrages érigés par les Penan et les Berawan. Depuis lors, le bois, abandonné sur le site, pourrit et l’affaire a été portée devant la justice.
Ukau Lupung, chef du village de Bateu Bungan, était à la tête de cette action sur le terrain contre Radiant Lagoon. Les Penan du Mulu ne vivent plus comme Guman et sa famille. Totalement sédentarisés, ils vivent principalement de l’activité touristique du parc national. Ils sont guides, pilotes de bateau ou vendeurs des objets artisanaux. Leurs enfants vont à l’école et rêvent d’un avenir loin de la forêt. Pour Ukau, la conservation de la forêt primaire autour du parc se révèle néanmoins cruciale pour garantir un minimum de subsistance à travers la chasse, le rotin ou les plantes médicinales. « Nos revenus proviennent principalement de la vente d’objet artisanaux à base de rotin. Si les compagnies de palmiers à huile rasent la forêt, nous ne pourrons plus en fabriquer. » Les Penan se considèrent également comme les gardiens de la forêt primaire et voient comme un devoir de la protéger. Pour Ukau comme pour Guman, le combat est encore long.
Je continuerai à préserver nos terres jusqu’à la fin de ma vie. Pas pour moi, mais pour les générations futures. Ceux qui vivent en ville ont la banque, les supermarchés. Nous, notre banque, c’est la forêt.
Ukau Lupung, chef du village de Bateu Bungan