Chaque halte est l’occasion de mieux comprendre l’héritage de 14-18, grâce à des passeurs de mémoire qui habitent ces lieux et cultivent une relation particulière avec leur histoire.
A neuf ans, quelqu’un m’a offert une baïonnette américaine, récupérée dans le sol. C’est comme ça que tout a commencé
Dans un village au nord de la France, en Romagne-sous-Montfaucon, pas très loin de Verdun et la foret de L’Argonne, se trouve le musée Romagne 14-18. Pendant plus de 40 ans le propriétaire Jean Paul de Vries a rassemblé une collection extraordinairement impressionnante dans ce musée à petite échelle. Le musée est constitué essentiellement sur des objets trouvés dans un rayon de quelques kilomètres autour de Romagne sous Montfaucon. Dans le décor intime de son musée, Jean-Paul raconte la petite histoire d’une Grande Guerre. Dans la région où en 1918, il y avait plus qu’un million des soldats américains qui luttaient contre les troupes allemandes. Un siècle plus tard Jean-Paul guide les descendants de ces soldats dans son musée. Mais aussi des personnes qui n’ont pas directement un lien avec ces combattants trouvent le chemin vers Romagne plus que jamais. Chaque année, plusieurs milliers de visiteurs de toute l’Europe, Japon et les Etats-Unis visitent ce lieu de mémoire doté d’une âme. Le musée attire aussi un jeune public international. Nombreux sont les écoles françaises et étrangères qui ont sur leurs programmes éducatifs une visite à Romagne. Aujourd’hui le guide touristique “Lonely Planet” compte le musée Romagne 14-18 parmi les cinquante trésors de l’Europe. A juste titre !
Depuis 1976, Jean Paul de Vries recherche sur les champs de Montfaucon en Argonne des objets du quotidien: Peignes, pièces de monnaies, couverts, montres de poche remontent encore aujourd’hui. Il découvre un Granatenwerfer, mortier allemand mis au point pendant la Première Guerre mondiale. Le mortier tirait des grenades à empennage Wurfgranaten modèles 15 et 16.Il est employé par les forces armées allemandes, comme le relate Ernst Jünger dans ses Orages d’acier ; ce mortier était surnommé Priester (« prêtre », l’historie racontant que l’engin a été mis au point par un prêtre hongrois), ou encore Taube (« colombe »), et Pigeon ou Tourterelle par les Français, par association d’idée avec le bruit que faisait la chute des projectiles. « Avec des copains, on a trouvé les corps de dix-huit soldats morts, dans une tranchée. Parmi eux, il y en avait deux de mon âge. J’ai compris que ce n’était pas normal. Depuis lors, c’est devenu pour moi une obligation de passer le message… » Jean-Paul trouve un obus explosé sur un des champs de Romagne. Ces munitions peuvent présenter encore aujourd’hui un risque réel. Elles deviennent plus dangereuses à mesure de leur vieillissement. La loi interdit formellement d’entrer sur les champs de bataille avec l’intention de chercher. Le gouvernement français connaît le travail de Jean-Paul de Vries. Aucune exception n’est faite pour les autres. Les munitions sont toujours dangereuses, même après presque 100 ans. Il y a de lourdes amendes si l’on se fait prendre, elles peuvent s’élever à plus de 3500 euros Il est également interdit d’avoir un détecteur de métal ou de l’avoir dans la voiture. De plus, les forêts sont d’anciens champs de bataille où de nombreuses personnes sont mortes.
Avec des copains, on a trouvé les corps de dix-huit soldats morts, dans une tranchée. Parmi eux, il y avait deux de mon âge. J’ai compris que ce n’était pas normal. Depuis lors, c’est devenu pour moi une obligation de passer le message…
Après le passage des machines agricoles, Jean-paul découvre en surface des champs des munitions. Il les laissera en bordure du chemin et le signalera aux autorités locales. Les objets qu’il collecte sont des objets du quotidien du soldat. Depuis plus de 30 ans, Jean-Paul a décidé de ne plus se servir de détecteur de métal. Il les ramasse dans le respect de la législation: en surface des champs labourés, avec l’accord des agriculteurs. Jean-Paul souffre de la maladie de Bechterew? Les ligaments de la colonne vertébrale s’enflamment et se rigidifient. Un processus douloureux qui peut être arrêté par une perfusion de Remisage. Une fois toutes les huit semaines, Jean-Paul va à Verdun pour ce traitement qui adoucit la douleur.
En présentant sa collection unique et dans un style très personnel, Jean-Paul sait transmettre les émotions de la Première Guerre Mondiale aux visiteurs et il contribue de façon captivant à mieux comprendre le immense drame qui a touché le monde et en particulier Romagne il y a un siècle.
Le musée est le résultat d’un travail acharné. Une collection formidable d’objets ayant joué un rôle dans la vie quotidienne des soldats du front. Des objets qui revivent dans les histoires de Jean-Paul qui a quelque chose à vous raconter sur chaque objet du musée, aussi petit ou insignifiant soit-il. Une des pièces émouvantes du musée de Jean-Paul: ce soulier a sans douté été réalisé par un soldat allemand pour un des enfants français du village. A Romagne, il y avait un hôpital allemand, où toute une série de soldats ont dû être amputés. Un soldat a récupéré le cuir d’une botte pour offrir des chaussures à un petit français qui était nus-pieds ou en sabots.
Ce soulier a sans doute été réalisé par un soldat allemand pour un des enfants du village. Derrière chaque objet, il y a une histoire personnelle
Selon Jean-Paul, nous réalisons tous les jours à quel point la guerre est effroyable. Il est combattu par des gens ordinaires et affecte les gens autour de la guerre. Situées à cheval sur trois départements (Ardennes, Marne et Meuse), les collines de l’Argonne et leur massif forestier forment un rempart naturel parcouru en surface par un impressionnant réseau de tranchées. En sous-sol, des kilomètres de galeries, pour partie accessibles, ont abrité les combattants ou alimenté la guerre des mines. Les innombrables vestiges des durs combats de 1915 et 1916 sont présentés dans un état de conservation absolument saisissant.
Le silence est permanent sur le champ de bataille. Plus aucun oiseau ne passe au-dessus de la forêt. Est-ce un signe de la toxicité des lieux?
De l’autre côté de l’Argonne, sur la crête des Eparges, des bénévoles de l’association Horizon 14-18 proposent des circuit souvenirs aux marcheurs désireux de toucher l’histoire du bout des doigts. Ces passeurs de mémoire sont des personnes qui vivent au quotidien avec ce patrimoine et composent avec des clés de lecture très personnelles mais pertinentes de l’ environnement tel qu’il a été formé par la guerre dans chaque zone du front.
Patrice Losson, créateur et président de l’association Horizon 14-18 – Les Éparges, est un passionné de la Première Guerre mondiale. Il connaît l’histoire des Éparges par cœur. Le président de l’association « Horizon 14-18 » Patrice Losson et plusieurs de ses bénévoles ont organisé une sortie sous le soleil sur la crête des Éparges sur les traces du célèbre écrivain Maurice Genevoix » auteur de Ceux de 14″.
Mon but est de permettre aux jeunes de comprendre le devoir de mémoire et de le perpétuer. Je ne joue pas à la guerre, je veux la faire connaître
Ce circuit souvenir amène les visiteurs sur des lieux inédit comme cette tombe du sous-lieutenant du 3eme génie tué le 24 juin 1915 dans ce bois. Un bénévole de l’association « Horizon 14-18 Les éparges » explique aux promeneurs du circuit souvenir le maniement de plusieurs armes et quelques objets du quotidien comme ce pistolet français. Patrick Losson propose un premier arrêt du circuit souvenir devant la tombe isolée du caporal Maxime Dupont Leniere du 51e régiment mort pour la France le 26 juin 1915. « Mon but est de permettre aux jeunes de comprendre le devoir de mémoire et de le perpétuer. Je ne joue pas à la guerre, je veux la faire connaître », explique-t-Patrick Losson »
Le nom « les Eparges » entraîne systématiquement l’évocation de l’enfer de la grande guerre, la destruction des paysages, la disparition de milliers de soldats. Il n’est pas question de passéisme mais le devoir de mémoire doit se poursuivre.
Aux Éparges, Français et Allemands se sont affrontés dans des batailles meurtrières pendant la Grande Guerre pour dominer la crête au nord du saillant de Saint-Mihiel. Le 106e régiment d’infanterie (106e RI) a combattu pendant la bataille des Éparges de 1915. Le bilan humain des combats fut lourd pour le régiment : 300 tués, 300 disparus et 1 000 blessés. Ce monument est l’œuvre de Maxime Réal del Sarte, ancien combattant des Éparges où il perdit un bras. Il est dédié au soldats du 106e régiment d’infanterie, morts au combat aux Éparges.De forme pyramidale, le monument en pierre blanche est dominé par une tête humaine sculptée portée par des mains décharnées sculptées. Des croix, des os, des crânes ajoutent à la morbidité de l’œuvre. ..
Avec la collaboration d’Isabelle Masson Loodts, archéologue, historienne de l’art et journaliste spécialisée sur les questions environnementales de la Grande Guerre (www.paysagesenbataille.be)