À bord du bateau MSF « Geo Barents » des survivants de la traversée de la méditeranée et des centres de détentions en Libye racontent et témoignent de leur calvaire pour atteindre une vie meilleure.
KONKÉ, la vingtaine (elle ne connaît pas son âge), a fui la Côte d’Ivoire, forcée d’épouser un vieil homme depuis que son mari l’a quittée pour rejoindre l’Espagne. Accompagnée de ses deux fils, Mamadou, 6 ans, et Oumar, 4 ans, elle a décidé de partir vers le Mali pour pouvoir y travailler et y construire une nouvelle vie. Mais après quelques mois sur place, Konké s’est rendu compte que la situation sécuritaire au Mali ne convenait pas pour l’éducation de ses enfants et décide alors de partir pour la Libye. Après un voyage clandestin éprouvant à travers le Mali et l’Algérie, elle restera 7 mois en Libye. Là, Konké et ses deux garçons se sont retrouvés à deux reprises dans des centres de détentions. Konké vivait chez une femme ivoirienne, travaillait comme femme ménagère chez des libyens, mais devait parfois mendier en rue pour trouver de quoi nourrir ses enfants. Un jour, elle s’est fait arrêtée par la police avec ses deux enfants. Ils ont passés 2 mois et demi dans le centre de détention de Gargaresc. Face aux violences faites aux personnes d’Afrique de l’Ouest et Centrale dans la société libyenne et face à cette constante menace de se retrouver en centre de détention, Konké a décidé de rejoindre l’Europe pour élever ses enfants dans un meilleur environnement. Lors de sa première tentative, les gardes côtes libyens les ont interceptés. Elle s’est de nouveau retrouvée en centre de détention. « Là-bas, si on refuse le sexe, on se fait frapper… Je pleurais à chaque coup, mais mes enfants me disaient qu’il ne fallait pas pleurer, d’être forte. C’est ça qui m’a donné la force de survivre. On ne peut pas expliquer tout ce qui s’est passé en Libye, c’est trop… » raconte Konké.
MOUSTAFA et ses 3 fils viennent de Syrie qu’ils ont quitté en 2015 après le siège de leur ville, Babbila, dans le sud de Damascus. Après un séjour de 20 jours au Soudan et cinq dures années passées en Égypte, Moustafa pris la décision de se rendre clandestinement en Libye pour ensuite rejoindre l’Europe. Une fois arrivés en Libye, à Sabratha, un passeur promis à Moustafa de les embarquer sur un bateau vers l’Europe pour la somme de 5000$ (4 425€). Après 2 semaines d’attente et logés dans un appartement insalubre, Moustafa demanda son argent de retour, ce qui fut refusé par le passeur qui le menaçait de lui tirer dessus s’il continuait à se plaindre. Finalement, Moustafa et ses trois enfants (Ali, Hassan et Youssef) âgés de 7, 13 et 18 ans ont embarqué sur un bateau en bois au départ de Zuwara « j’ai payé 4000$ (3540€) en plus pour embarquer sur ce bateau, mais lorsque j’ai vu le nombre de personnes à bord, j’ai dis au passeur que je ne voulais plus embarquer, c’était trop risqué. Mais celui-ci nous a menacé avec son arme si on ne montait pas sur le bateau. Au début, la mer était calme, puis ça s’est agité. Les gens ont commencé à paniquer, je ne pouvais plus que prier pour la vie de mes enfants » raconte Moustafa. Après 13h de dérive, la barque où se trouvait Moustafa et ses enfants a été secouru par l’équipe MSF du «Geo Barents». Malheureusement, dix personnes à bord de se bateau étaient déjà décédées, asphyxiées par des émanations d’essence dans le fond du bateau. « J’ai pris le risque de traverser la Méditerranée pour l’éducation de mes enfants. Après la guerre en Syrie et une période très difficile en Egypte, j’espère qu’ils auront enfin accès à l’école en Europe » confie Moustafa.
After spending more than thirteen hours on a wooden boat adrift in the Libyan SAR zone, Mustafa and his three sons, Karim, Adam and Ibrahim are celebrating to be safe on the Geo Barents after an tense rescue by the MSF SAR team on the 16th of November 2021. Karim, 13 years old, is talking with Joan, an MSF SAR team member who was driving the RHIB in which Karim was rescued the day before, the 17th November 2021. Adam, 7 years old, is showing what his father wrote on his front arm before embarking in the wooden boat to cross the Mediterranean. While seeing the boat and how overcrowded it was, Adam’s father didn’t want to embark anymore but the Libyan smugglers threatened him and his sons if he refused to do it. Therefore, he wrote the Adam’s name and his mother facebook on his arm if they die during the crossing, the 17th November 2021. Mustafa and his three sons are ready for disembarkation. After a journey through Soudan, five years in Egypt, a struggle in Libya and a traumatizing day aboard a wooden boat, the family will be safe in Italy but will also have to start the long procedure of seeking asylum in Europe, the 19th November 2021.
MARYAM a quitté Port-Bouet, en Côte d’Ivoire, il y a 2 ans. Veuve et mère d’une petite fille de 4 ans à cette époque, elle était vouée à être remariée à son beau-frère qu’elle connaissait à peine. Elle confie sa fille à sa mère et décide de partir pour le Mali avec sa sœur, sa nièce et deux de ses frères. « Mais le Mali ne nous convenait pas, on ne connaissait rien ni personne. Pour les femmes c’était très difficile, on ne se sentait pas du tout en sécurité à Bamako » explique Maryam. Celle-ci et sa famille décident de traverser le désert entre le Mali et l’Algérie pour rejoindre la Libye. Et là…ils ont directement été enlevés et emmenés dans un centre de détention.
« Nous sommes restés dans ce centre pendant un mois. Il fallait attendre que notre famille nous envoie de l’argent pour sortir. Dans le centre, nous n’avions pas de place, et dans le peu de nourriture que nous recevions, il y avait de la drogue pour qu’on dorme, mais surtout, pour nous les femmes, on pouvait se faire violer par les gardes lybiens. Si on refusait ou si on se débattait ils nous frappaient avec des bâtons. Une fois, c’est le fait d’avoir mes règles qui m’a sauvée, les autres fois, j’ai reçu des coups mais ils ne m’ont pas violéet. Ce n’est pas le cas pour d’autres femmes… » témoigne Maryam. Après 2 ans en Libye, trois tentatives de traversée de la Méditerranée et trois passages en centre de détention, Maryam et sa famille ont enfin atteint l’Italie après un sauvetage mené par l’équipe MSF du «Geo Barents». « La traversée en bateau était effrayante, on sentait l’odeur d’essence partout mais nous ne savions pas qu’il y avait 10 morts dans le fond du bateau jusqu’à qu’il soit vidé. Nous étions prêt à mourir plutôt que de retourner en Libye » explique Maryam.
Maryam and her friends from Ivory Coast and Guinea are celebrating the fact of being safe on the Geo Barents, the 17th November 2021. Maryam, in the middle, is lining up in the Geo Barents for the disembarkation in the port of Messina with 185 other survivors, the 19th November 2021. Maryam is packing her stuff as a few minutes before, she got the news that the Geo Barents has found a port of safety to disembark the 186 survivors, the 19th November 2021.
ADARA, 18 ans, et son fils, Kader, 3 ans, attendent de recevoir recevoir leur paquet alimentaire pour le journée sur le pont du Geo Barents, le 18 novembre 2021. Adara et Kader sont originaires de Côte d’Ivoire. Avant de traverser la Méditerranée et d’être secourus par l’équipe SAR de MSF le 16 novembre 2021, ils ont vécu 2 ans à Gargaresc, en Libye. Durant ces 2 années, ils sont allés 3 fois en centre de détention où ils y ont passé 1 mois à 5 jours. A chaque fois, Adara et son fils ont été enlevés. Adara et Kader ont voyagé avec le frère d’Adara et son neveu. ils voyageaient sur le bateau en bois où 10 personnes ont perdu la vie par suffocation. Le neveu d’Adara était parmi eux, il n’avait que 17 ans.
Awa, 18 years old, and her son, Adamou, 3 years old, are sitting in the line to receive the food package on the deck of the Geo Barents, the 18th November 2021.
Adamou, 3 years old, is at the clinic of the mid wife for a medical check up by the mid wife, Kira. He’s suffering from a swollen belly but without an ultrasound it is difficult to obtain an accurate diagnosis on the Geo Barents. More medical test will have to be done on shore, the 18th November 2021.
Awa, 18 years old, and her son, Adamou, 3 years old, are eating their breakfast that they just received on the deck of the Geo Barents, the 18th November 2021.
IBRAHIM ET MOHAMMED, deux amis d’enfance de 16 et 15 ans, ont quitté la Guinée Konakri au mois de janvier 2021 pour rejoindre la Libye après un séjour de 2 mois au Sénégal puis un long périple à travers le Mali et l’Algérie. « En Libye, nous logions dans une maison avec 40 autres migrants. Nous travaillions dans des jardins ou des champs, parfois 12 heures par jour, pour finalement ne pas être payé. Si on se plaignait, les Libyens nous frappaient où nous menaçaient avec leurs armes. De temps à autre, des libyens entraient dans la maison pour nous attraper et nous vendre en tant qu’esclave ou à des centres de détentions. On devait constamment être sur nos gardes ». Au mois de juin 2021, Mohammed et Ibrahim ont tenté une première traversée vers l’Europe, mais les gardes côtes libyens les ont interceptés et les ont vendu à un centre de détention à Tripoli. «Les gardiens du centre nous ont demandé d’appeler nos familles pour qu’ils paient 7 millions de francs guinéens (655€) pour nous faire libérer. Cela a pris 2 mois. Les conditions de vie étaient horribles, nous étions environ 300 dans une pièce trop petite, on se faisait frapper pour n’importe quelle raison. Pour les repas, ils nous servaient de l’eau salée et une assiette de macaroni pour 5 personnes. Un jour, nous avons essayé de nous échapper, mais on s’est fait repérer et les gardes ont commencé à nous tirer dessus. Trois personnes sont mortes, beaucoup d’autres étaient blessées ». Au mois de novembre 2021, Ibrahim et Mohammed ont de nouveau embarqués sur un bateau en bois au départ de Zuwara. Ils ont été sauvés de justesse par les équipes MSF devant les yeux des gardes côtes libyens. Mais dans le fond de ce bateau, 10 corps sans vie ont été découverts, asphyxiés par les émanations d’essence de leur bateau.